
Banlieues chéries
L'édito de la semaine
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Il est toujours bon de creuser un peu les étymologies (de étumos (vrai) et -logia (étude) : l'étude du vrai). Le mot « banlieue » vaut ainsi le détour : il est formé de ban et de lieue. La banlieue est donc un territoire d'une « lieue » (environ 4 kilomètres) autour d'une ville, qui est soumis au « ban », c'est-à-dire aux lois et à la domination de celle-ci.
Depuis cette définition médiévale, le temps a passé. Mais la question de la domination reste. Celle d'une échelle de valeur entre la ville et l'espace suburbain (« en-dessous de la ville », donc) persiste dans nos imaginaires. Il s'agirait de sortir un peu des clichés. Et pour ce faire, nous vous proposons l'Escale Banlieues chéries, fabriquée en partenariat avec le Musée de l'histoire de l'immigration, en lien direct avec l'exposition du même nom qui se tient en ce moment au Palais de la Porte Dorée à Paris.
Lisons : « Faire entendre les quartiers populaires, sortir des cadres de représentation et des discours dominants pour montrer la complexité des réalités, souligner les dynamiques de résistance et de réinvention sociale, partager la pluralité des expériences individuelles ou collectives, c’est bien là tout l’enjeu de cette sélection ». Et encore : « sortir du fantasme d’une masse homogène et anonyme, invisible dans son quotidien et pourtant menaçante, d’une marge qui ne serait que précarité sociale, délinquance, tensions communautaires, en ignorant la somme des vies qui en font la richesse ».
On commence par un poème : L'amour existe. Maurice Pialat, pour son tout premier film professionnel, filme la banlieue à la fin des années 50, quand les chantiers faisaient rage et que la douceur des bords de Marne persistait encore un petit peu. C'est un film magnifique, qui mélange sa grande mélancolie avec une colère sèche : « voici venu le temps des casernes civiles ». Et c'est de l'inquiétude, aussi : comment pourra-t-on vivre ainsi, relégués dans cet « urbanisme pensé en termes de voirie » ? « L’ennui est le principal agent d’érosion des paysages pauvres », prévient-il.
La relégation c'est aussi une question de frontière : à Paris il y a le boulevard périphérique. Dans La Tentation de la forteresse, Martina Magri interroge l'effacement des ouvriers qui l'ont construit, souvent venus des – tout juste ex – colonies françaises. Avec cette particularité : le boulevard fut inauguré en 1973 par Pierre Messmer, qui fut précédemment ministre des armées pendant la guerre d'Algérie...
Quoi de mieux pour ne pas s'effacer que de prendre soi-même la parole ? C'est avec cette ambition qu'à la fin des années 70 s'est créé le Collectif Mohamed : des jeunes habitants du Val-de-Marne se réunissaient pour produire leurs propres discours et formuler leurs propres révoltes. Ils auront réalisé trois films, dont Zone immigrée, une enquête dans la Cité Jean Couzy de Vitry, qui questionne les causes et les effets de la violence après une agression dans le quartier...
Autre ville : Bois d'Arcy. Où le réalisateur Mehdi Benallal a grandi et où il revient pour une errance : « une route boisée, des rues désertes, quelques voitures, le parking d’un supermarché, deux femmes promenant leur chien, des enfants sous un arbre, un chantier... ». « Paysages de l’ennui » écrit Stéphanie Bartolo, qui signe les textes de cette Escale. Mais lorsque les souvenirs reviennent, dans ce calme apparent, c'est bien le racisme et la haine qui font surface.
Et pour finir, un film tourné en 1991 par Dominique Cabrera, à Mantes-la-Jolie : Chronique d'une banlieue ordinaire. Un beau film, presque un classique, dans lequel les anciens habitants d'une tour vouée à la destruction reviennent dans leurs lieux de vie pour évoquer leurs souvenirs. Un film plein de vie, justement : « Avec une grande délicatesse, la cinéaste accueille ce qui affleure – fragile parfois – dans la joie, la douleur, la nostalgie. Ce qui se dit, ce qui se tait. La somme bouscule, bouleverse, émeut, s’illumine aussi quand les enfants s’en mêlent. La chronique alors, de souvenirs mêlés refait communauté, humanité même. Superbe ».
Et pour finir à nouveau, nous vous signalons que l'Oscar du meilleur film documentaire 2025 est à présent disponible à la location. Et pas n'importe lequel, un film urgent, un film d'aujourd'hui : No Other Land. Un documentaire qui témoigne avec force et engagement, au plus près de l'entreprise de destruction des corps, des bâtisses, des terres et des mémoires opérée par l'état israélien, aujourd'hui et depuis tant d'années, en Palestine occupée.
Bons films !
Les éditos passés





