
Harun Farocki et les Gilets Jaunes
L'édito de la semaine
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La vie c'est pas très compliqué : on se lève et on se fait une belle tartine dans une lumière douce, on sent bon parce que notre savon sent bon, notre pull est doux et lavé avec Mir Laine, on va courir un peu sur la plage avec des chevaux, notre chevelure resplendit, on a une belle BMW, on se boit un petit whisky dans un gratte-ciel, on est heureux en ménage, on possède un beau caméscope Hi8, on aime le fromage en tranches, on prend un bain au lait d'ânesse.
C'est Une journée dans la vie d'un consommateur final. Nous sommes tous des consommateurs finaux, le saviez-vous ? Et dans son film, Harun Farocki s'en amuse et en fait une critique d'une terrible efficacité. Il « agence un ensemble de séquences publicitaires qui, du matin au soir, offrent une marchandise pour chaque moment de la journée, un produit pour chaque problème, écrit notre programmatrice. Sans commentaire, le montage crée une étrangeté grandissante, une hallucination tout droit sortie de l'imaginaire du capitalisme ». À quoi rêve la publicité ? À notre bonheur permanent, farci de marchandises.
Chloé Vurpillot a choisi trois films pour ce Fragment d'une œuvre consacré à Harun Farocki, réalisateur et théoricien allemand qui tout au long de sa carrière s'est intéressé à décortiquer l'information, les images, le monde de l'entreprise et de l'industrie, et la fabrication des choses (des objets, et de nos imaginaires). La Vie RFA montre ainsi des séances de formation professionnelle. Vous savez : jeux de rôles, mises en situations, répétitions, cas pratiques. Et en parallèle : des machines testent des produits en vue de leur commercialisation. « Intelligence du montage qui, dans ses raccords, nous montre que "ce qui sera vendu doit être éprouvé, celui qui vendra aussi" ». Qu'on s'entraîne à être agent d'assurance, strip-teaseuse, policier, sage-femme, le film montre comment l'entreprise administre nos vies, nos mots et nos corps : « la formation comme matrice des sociétés de contrôle » conclut Chloé Vurpillot.
Dans Images du monde et inscription de la guerre, c'est une photographie qui est au centre du film. Prise le 4 avril 1944 par un avion de reconnaissance états-unien, elle montre le camp d'Auschwitz. Mais le montre-t-elle vraiment ? À l'époque, les analystes ne virent pas le camp car... ce n'était pas ce qu'ils cherchaient. En partant de ce document et de l'idée que la photographie permet de documenter le réel en restant à distance (donc à l’abri des dangers), le film offre une réflexion sur la fabrication et le traitement des images. Et questionne le degré d'abstraction que les images modernes (cartographies, images numériques, simulateurs...) peuvent revêtir, et leur dangereuse distance avec le réel. C'était en 1989 – posons-nous aujourd'hui encore cette même question.
« Si tu consommes t'es dans un système, tu fais marcher des processus ». Deux petites minutes pour un film intitulé Sans titre. Juste la parole d'un homme qui face caméra se réjouit d'être « re-né » à la faveur d'un mouvement historique : Les Gilets Jaunes. Une révolte qui commença il y a sept ans déjà. Et qui est encore quelque part dans notre imaginaire.
D'autres voix s'expriment, celles de nombreux autres Gilets Jaunes, dans Les Voies jaunes, de Sylvestre Meinzer. C'est un voyage dans la France, du Havre à Marseille, à l'écoute de paroles en colère. Cette colère qui a pu éclater un temps et qui fut, rappelons-nous, matée violemment. La réalisatrice choisit l'errance et la douceur, les paysages périphériques, les plans longs, pour porter les mots et mieux nous les faire entendre. La colère, oui. Et puis l'amertume d'avoir été dénié et méprisé. « Mais sous l’amer, on entend la voix de ceux qui font ce cher vieux pays et portent encore l’informe espoir de créer quelque chose d’autre ».
Bons films !
Les éditos passés




