
Andy Goldsworthy, Buster Keaton, Vinciane Despret (et Cie).
L'édito de la semaine
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« Il est huit heures moins le quart. La marée devrait être haute à trois heures environ. Je n'ai pas beaucoup de temps. Vous devriez arrêter de filmer. Ramassez des pierres, plutôt. Rendez-vous utiles. »
D'où la question de la semaine : est-il plus utile d'empiler des pierres que de faire des films ? C'est une citation du film Andy Goldsworthy et l'œuvre du temps, un très beau portrait du fameux artiste de land art en pleine action. Il empile des pierres, oui, il arranges des pétales en dégradés, il soude des tronçons de stalactites, il se caille dans le petit matin de la campagne écossaise. Il fait des choses très, très fragiles qui parfois et souvent s’effondrent ou s’annulent naturellement. Andy Goldsworthy persiste et « fait avec » son milieu (le vent, la boue, le courant) pour fabriquer sa poésie. Voilà, fabriquer des jolies choses ça demande d’être un peu patient, de prendre le temps et de respirer calmement. Un peu comme... faire des films. Faire des films documentaires, en particulier.
Deux documentaires de notre programmation cette semaine ont décroché une Étoile ! On parle ici des Étoiles de la Scam, récompenses annuelles d'œuvres audiovisuelles qui sont mises en avant sur grand écran pendant le Festival Vrai de Vrai.
L'un se déroule en Inde : Against the Tide. Qu'on peut traduire par « à contre-courant ». Une histoire d'amitié qui se confronte aux enjeux écologiques et économiques. Rakesh et Ganesh sont pêcheurs : l'un souhaite préserver son mode de travail traditionnel. L'autre cherche une rentabilité destructrice de la nature. Surpêche, concurrence, bouleversements climatiques... « les amis sauront-ils s'entraider en dépit des choix radicalement différents qu'ils ont faits ? »
L'autre a reçu de nombreuses récompenses, dont l'Œil d'or à Cannes en 2023 et le prix Alice Guy en 2024. Les Filles d'Olfa se passe en Tunisie. Olfa a quatre filles et deux ont disparu : que sont-elles devenues ? Pour tenter de répondre à cette question, la réalisatrice Kaouther Ben Hania convoque la fiction. Ou du moins, des actrices, pour incarner les absentes. Voilà donc un film dans lequel réel et fiction se mêlent pour tenter de mieux atteindre une vérité : celle de dialogues familiaux, de passifs à dénouer pour mieux se comprendre – et comprendre le dramatique départ des filles. Olivier Barlet conclut : « C'est dans la complicité et la sororité que, malgré les obstacles, la douleur est assumée et la haine sublimée, et que le film (...) atteint sa joyeuse vitalité. »
Quatre autres films accessibles en ce moment sur Tënk ont reçu cette année une Étoile de la Scam ! État limite de Nicolas Peduzzi, Un pasteur de Louis Hanquet, C'est comme ça de Sarah Bellanger et Au cimetière de la pellicule de Thierno Souleymane Diallo.
On ne sait pas bien si Emma Goldman, la militante anarchiste, souriait beaucoup. On sait en revanche que Buster Keaton, lui, non. Quel rapport ? Vous le saurez en regardant Navigators bien sûr ! Mais en deux mots, voilà : en 1919, 249 militants considérés par le gouvernement états-unien comme anarchistes ou syndicalistes furent expulsés du territoire et envoyés vers le Russie sur l'USAT Buford. Ce même paquebot qui servit de décor en 1924 au film de Buster Keaton La Croisière du Navigator ! Le réalisateur Noah Teichner met en tension ces deux faits historiques dans un film-essai passionnant et « fait surgir, au cœur même de la fiction hollywoodienne, les vies que le pouvoir avait choisi de rendre invisibles » écrit Benoît Hické, qui programme le film. Un film qui rappelle aussi ce temps-là où les États-Unis interdisaient de territoire leurs opposants politiques...
Du coq à l'âne. Dans Vivant parmi les vivants il y a : une jument de Przewalski, une chienne et deux humains, Baptiste Morizot et Vinciane Despret (la jument s'appelle Stipa, la chienne Alba). C'est un film qui se confronte à la pauvreté de notre langage pour bien dire notre lien au vivant. « Sylvère Petit (...) tente d’explorer autrement les codes du cinéma animalier. Faire sans l’anthropomorphisme, le sensationnalisme ou la seule lecture scientifique des vivants » écrit Julia Pinget, programmatrice. C'est précisément le champ d'études des deux philosophes que le film accompagne, des splendides paysages du Causse Méjean jusqu'au cœur de nos villes tumultueuses. « Habiter en oiseau » écrivait Vinciane Despret. Sylvère Petit s'essaie-t-il à filmer en jument ?
Bons films !
Les éditos passés




