Sur un même paquebot : des militants anarchistes, puis Buster Keaton.
Noah Teichner fait de cette collision entre mémoire politique et culture populaire le terrain d'un geste radical : les archives deviennent un champ de bataille où se rejoue ce qui a été étouffé. Navigators assume pleinement le geste du film-essai. Le split-screen ouvre un espace commun où se rencontrent deux récits que l'histoire a séparés. Ce dispositif ne relève pas de l'effet. Il élargit la pensée. Il fait de chaque plan un lieu de lutte entre amusement et tragédie, entre effacement et puissance du souvenir. La force du film tient dans cette tension. Un humour discret, hérité de Keaton, traverse également ce récit fantomatique hanté par l'injustice. De cette cohabitation naît une véritable politique du cinéma. Teichner fait surgir, au cœur même de la fiction hollywoodienne, les vies que le pouvoir avait choisi de rendre invisibles. Son film – passionnant à bien des égards – est un précieux outil de construction d’une contre-mémoire.

Benoît Hické
Programmateur et enseignant