
À Clermont-Ferrand : Jocelyne Saab et des bruits
L'édito de la semaine
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Il y a loin du pneu au court métrage et Clermont-Ferrand est à notre connaissance la seule ville au monde à être la capitale de l'un ET de l'autre.
C'est cette semaine que s'ouvre le Festival du court métrage de Clermont-Ferrand. Et comme tous les ans, Tënk se fait un plaisir de mettre en avant la forme courte. Comme tous les ans, le festival présente dans ses salles une multitude de films – plus de 500 – de tous genres et de tous horizons. Et côté documentaire, il y a de quoi faire !
Nous avons choisi d'aller voir du côté du Liban, qui est le « Focus géographique » du festival cette année. Et plus spécifiquement, nous vous proposons d'entrer, par trois films, dans une filmographie importante de la région : celle de Jocelyne Saab. Un Fragment d'une œuvre pour une cinéaste considérée comme une pionnière du cinéma arabe. Elle a notamment filmé dans les années 70-80 la guerre civile libanaise, passant progressivement de la place de reporter de guerre pour la télévision à un regard de cinéaste.
C'est ce trajet qui s'illustre dans les films que vous découvrirez. Précisément : à propos du film Les Femmes palestiniennes, Jinane Mrad, directrice adjointe à la sauvegarde du patrimoine artistique de Jocelyne Saab écrit ceci : « Alors qu’elle monte le film dans les locaux d’Antenne 2, le couperet tombe : le chef du service étranger de la rédaction refuse catégoriquement la diffusion du documentaire sur la chaîne et chasse brutalement Jocelyne de la salle de montage ». Les raisons politiques de ce refus seront certainement à voir dans le fait que ce « reportage » tend le micro, en 1973, à des femmes souvent oubliées dans les récits des tensions au Proche-Orient : civiles ou militaires, elles résistent, combattent et prennent la parole.
Émancipée de la télévision, Jocelyne Saab continuera à tourner et à recueillir des voix diverses. Dans Pour quelques vies – film très rarement diffusé –, on écoute les histoires de l'équipe de Raymond Eddé, fervent opposant au conflit confessionnel qui déchire le Liban dans les années 1970. Leur tâche ? Retrouver les disparus. Qu'ils soient chrétiens, druzes ou musulmans. Par les mots, la guerre se raconte avec la force, l'émotion – et l'humour ! – de ceux qui la côtoient de près tous les jours.
Enfin, datant de 1982, voici le film le plus personnel de notre Fragment : Beyrouth, ma ville. Lisons les mots de Jinane Mrad : « Alors que certains sillonnent Beyrouth une arme à la main, Jocelyne Saab se meut caméra au poing pendant deux mois dans les rues de la ville, dans les rues de sa ville, assiégée sous les bombes israéliennes dont les images qu’elle a immortalisées en 1982 résonnent aujourd’hui douloureusement face à la situation actuelle du Liban ». Elle continue : « Jocelyne Saab décide de montrer simplement la vie qui, au milieu du chaos, ne cesse de poindre et ne meurt jamais. C’est ce que Jocelyne Saab a voulu donner à voir dans cette magnifique ode à Beyrouth que l’on reçoit comme une détonation nous laissant sans voix et le cœur battant ».
Les deux autres films de notre programmation autour du festival de Clermont-Ferrand font écho au Panorama « Le bruit qui court ».
Plaf, tchac et gling : c'est du bruit, et c'est un métier. Celui de bruiteur, comme le dit de manière assez explicite le titre de ce film : Heidi chez le bruiteur. Heidi ? Oui, parce qu'ici c'est une jeune comédienne incarnant Heidi qui s'initie au bruitage sur une ancienne version du film Heidi. Il s'agit, avec un beau bazar d'objets hétéroclites, de faire résonner des pas sur du bois, de faire bruisser l'herbe, glouglouter un ruisseau, sonner une cloche de vache (et aussi sa bouse). Une entrée légère et amusante dans un lieu qui cultive habituellement le secret ! (Ce film fait partie de la collection Petites leçons de cinéma où l’on a déjà pu découvrir ce qu’est un tournage documentaire (Petite Leçon de cinéma : le documentaire) ou un jeune acteur (Kacey Mottet Klein, naissance d’un acteur)).
Bruiteur encore : Hacked Circuit, de Deborah Stratman (réalisatrice de Last Things – disponible à la location) se passe aux États-Unis, dans une rue bien états-unienne. L'ambiance est lourde, un mystère plane, on tourne autour d'un pâté de maison, la bande-son intrigue, des dialogues surnagent... On entre dans un studio : là des hommes bruitent du Coppola. Gene Hackman dévisse un lustre. Gene Hackman arrache du parquet. D'où proviennent les sons ? De la fiction ? Du réel filmé ? Voilà un jeu malicieux sur nos sens et nos perceptions, qui nous fait ouvrir grand les oreilles !
Bons films !
Les éditos passés





