Voyages, voyage

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L'édito de la semaine

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Nous allons visiter la Côte d'Azur, Oranienbourg-Sachsenhausen et la Papouasie Nouvelle-Guinée. Nous y allons en touristes, avec même parfois des shorts et des sandales. Trois voyages qui nous sont inspirés par la programmation « Tourisme, les clichés du voyage » du formidable festival Entrevues Belfort qui se tient en ce moment même (à Belfort).

Alors c'est magnifique la Côte d'Azur, d'autant plus quand c'est filmé en pellicule couleur et accompagné de musique et que c'est l'été. Du côté de la côte est un film d'Agnès Varda commandé par l'Office de tourisme du coin. On aime bien quand les cinéastes répondent à des commandes, parce qu'ils s'amusent souvent à les tordre (souvenez-vous du fabuleux Le Chant du styrène d'Alain Resnais – en location). Ici le beau dépliant touristique se froisse un peu. C'est toujours très beau et plein de couleurs mais vous savez, les lieux de vacances, ça n'existe pas. Ce sont des illusions qui n'existent que quelques mois lumineux. Voilà un film un peu drôle et un peu mélancolique : Agnès Varda ne peut pas s'empêcher d'aller voir ce qui se cache derrière les belles façades, derrière l'écran total et les chapeaux de paille élégants.

Sandales et shorts, oui. Certains lieux rendent la pratique du selfie déplacée : qu'est-ce que ça peut bien vouloir dire de faire un voyage touristique dans un camp de concentration ? Comment les lieux historiques se sont-ils transformés pour devenir lieux de passage et de visites ? Sergueï Loznitsa observe ainsi les foules dans Austerlitz, formant un flux incessant, franchissant des seuils dans un sens puis un autre. Si la mémoire doit exister, comment le peut-elle dans ce cadre-là ? Olivia Cooper Hadjian, qui programme le film, écrit à propos de ces touristes-là : « Leur détachement semble aller de pair avec une nouvelle forme de déshumanisation, plus douce et plus sournoise que celle imposée par les nazis : le règne du capitalisme, qui pousse à « consommer » un camp de concentration comme une quelconque marchandise, pour en tirer une forme de satisfaction ».

Cannibal Tours est un film incroyable (de « in » et « croyable »). On n'y croit pas, à ces touristes européens, australiens, états-uniens qui, embarqués sur leur croisière, commentent avec tant de candeur (et tant de mépris) la vie de ceux qu'ils viennent voir vivre. On a du mal à y croire, que ce rapport de domination soit autant assumé, ou autant intégré et inconscient. On veut bien les croire, les Papous, quand ils expriment leur colère et leur frustration – et leur rapport ambivalent à ce marché de dupes. On veut bien le croire, finalement, que là se trouve la nature même du tourisme et de la recherche d'exotisme : aller voir des lieux et des gens et les détruire en même temps. Cannibal Tours est un film incroyable, et c'est aussi un film australien de Dennis O'Rourke réalisé en 1988.


Bon Voyage, et quel voyage... « Il est toujours difficile de regarder un film lorsqu’on a les yeux embués de larmes. Mais devant Bon Voyage, les larmes de joie ont tendance à se mêler à la tristesse » écrit notre programmateur Benoît Hické. Certains films, comme ça, sont délicats et doux. Karine Birgé y raconte le choix de sa grand-mère d'aller chercher l'euthanasie en Belgique, et de s'y livrer, et de mourir (délicatement et doucement). Il en faut, du doigté, pour nous accompagner dans un tel récit. La réalisatrice en a : elle manipule des objets, tout un théâtre d'objets, de poupées, de figurines, d'automates. Et c'est avec cette poésie de la mise en scène que nous est racontée l'histoire, délicatement, en nous faisant connaître sa famille, son père et aussi le docteur Sauveur. Et aussi sa grand-mère. « Bon voyage », on lui dit.


Deux films complètent notre programmation de la semaine : d'abord, Amuka, l'éveil des paysans congolais, qui suit des petits producteurs agricoles en RDC, qui tentent de subvenir à leurs besoins sur un marché qui les laisse pauvres et à la marge, dans un pays qui pourtant pourrait nourrir trois milliards de personnes...

Ensuite : Des cris déchirent le silence. On les connaît, sur les murs de nos villes, les collages féministes – feuilles A4 marquées de phrases qui réveillent notre attention aux coins des rues. Le film de Natacha Thiéry les prend pour matière, ces feuilles blanches, ces lettres collées, déchirées, recollées. La réalisatrice en fait une chronique de quatre ans de luttes : au fil des années, les messages se transforment : solidarité avec les iraniennes, mouvement contre la réforme des retraites, ou contre la transphobie... Les murs parlent et crient. Et ce 25 novembre, c'est la journée internationale pour l'élimination des violences faites aux femmes.

Bons films !