Trompette et clitoris

Trompette et clitoris

L'édito de la semaine

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Nous ne savons pas s'il existe un terme pour définir le contraire du tremolo* – une voix qui ne modulerait ni en hauteur ni en volume, comme ça, un son plat. Chet Baker chante et joue de la trompette. Parfois il y met du tremolo et parfois pas du tout. D'un côté ça fait des vagues et de l'autre pas. Et ça fait quelque chose, ce contraste. Il chante I'm a Fool to Want You (écrite pas Frank Sinatra, qui se jugeait idiot de vouloir Ava Gardner). Parfois Chet vibre, parfois pas. Il fume une cigarette. Il souffle dans sa trompette. On regarde son visage, on y voit sa jeunesse et ses amours et toutes les épreuves de sa vie traversées. Les chansons c'est quand même incroyable, l'effet que ça fait. Regardez Chet chanter, regardez Chet's Romance.


Avec ou sans vibrato des lycéens boulonnais chantent. Ils sont en Terminale (à Boulogne-sur-Mer, donc), et le réalisateur David André les a suivis toute l'année durant. Une année toute tendue vers cette charnière : le bac, et ce que ça veut dire de choix, d'orientation et de séparations. Chante ton bac d'abord est le premier de nos films adolescents de cette semaine. On y suit le quotidien d'une bande d'amis d'origines sociales diverses, dans une ville touchée par la crise. Et pour raconter leurs vies, ils ont écrit des chansons : une manière pour chacun de dire autrement ses joies, ses tourments et questionnements, sur aujourd'hui et sur demain. Notre programmatrice Pauline David conclut : « C'est osé, et c'est une bonne idée ! »

Deuxième film adolescent : Qui à part nous. Un film extraordinaire (de « extra » et « ordinaire ») : cinq ans de tournage et 220 minutes ! Réalisé par Jonàs Trueba (dont le film de fiction Septembre sans attendre est récemment sorti en salles), il met en scène cette fois-ci une bande de Madrilènes, de leurs 15 à leurs 20 ans. « Qui, à part nous se souviendra de nos années adolescentes, entre insouciance, quête de sens et questions sur l'avenir ? » demande Pauline David. Voilà les questions que posent ces jeunes gens dans ce film hors-norme et d'une grande énergie, et ce ne sont pas des questions adolescentes : qui sommes-nous, qui voulons-nous être ?


Qu'est-ce qu'on va penser de nous ? Voilà encore une grande question ! C'est le titre du film de Lucile Coda, primé aux Écrans documentaires d'Arcueil en 2023 (dont l'édition 2024 vient de s'ouvrir). Lucile est diplômée d'une grande école de commerce, sa réussite professionnelle est toute tracée ! Comment se fait-il alors qu'elle n'ait pas encore de travail ? se demandent ses parents, Philippe et Viviane. Lui fut toute sa vie ouvrier, cantonnier, balayeur ; elle secrétaire. Qu'est-ce que c'est l'ascension sociale ? Lucile Coda prend sa caméra et interroge cela dans l'intimité du cercle familial, faisant le portrait de Viviane, celui de Philippe, et celui de leurs relations à tous les trois, avec une grande tendresse.


D'autres rencontres, dans Mon nom est clitoris. Avec douze jeunes femmes qui s'entretiennent, dans l'intimité de leurs chambres, avec les réalisatrices Lisa Billuart-Monet et Daphné Leblond. D'autres intimités se dévoilent ici par les mots : raconter sa sexualité, comment elle évolue, comment elle est née, ce qu'on en sait, comment on la vit. Raconter ce qui ne s'exprime pas souvent – et ainsi gagner en liberté, se permettre cet espace. Notre programmatrice Carolin Ziemann constate : « Il y a actuellement un manque de connaissances, de vocabulaire et de courage pour des conversations ouvertes sur le plaisir féminin. Et il est remarquable que les douze protagonistes féminines du film fassent preuve de ce courage et nous invitent à partir nous aussi à la découverte ». Et pour d'autres découvertes, nous vous conseillons également Fontis Nympha, toujours en ligne !

C'est une autre caméra bienveillante qui accueille d'autres paroles féminines, dans India Cabaret. Nous sommes en Inde en 1985. Elles sont danseuses, strip-teaseuses, certaines sont mariées, d'autres ont fui des mariages forcés. Livrées au regard des hommes dans le cadre de leur travail – un lieu où le désir masculin est encadré – elles sont, au dehors, aux premières loges de l’injustice patriarcale : harcelées par les mêmes hommes qui aiment les voir dénudées, et mises à l'écart de leurs familles  Et ici encore, un film – et la position d'une cinéaste – permet un accès extraordinaire à tout un monde, au quotidien de ces femmes dans une société indienne qui les met à l'écart, et à leur parole partagée, confiante et d'une grande force – sans tremolos.

Bons films !

*s'il en existe un, merci de nous le communiquer