
Les cowboys sont noirs !
L'édito de la semaine
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Jimmy revient d'un grand voyage aux USA. Au village il retrouve ses amis et leur montre les trésors qu'il a rapportés : toute une panoplie de chapeaux, foulards, bottes, chemises, holsters et revolvers. De quoi être de vrais cowboys : Black Cooper, James Kelly, Casse-Tout, Reine Christine... ensemble ils seront une bande et comme au Far-West ils pourront terroriser toute la région !
Voilà l'histoire de Le Retour d'un aventurier, le tout premier western africain ! Il fut tourné en 1966 par Moustapha Alassane, avec ses amis et une petite caméra Bell & Howell à ressort. Il y a un saloon, une belle paysanne, des paysages arides, des bagarres et des fusillades. C'est une fiction qui marqua le cinéma africain : un film plein d'humour, une parodie de western qui s'approprie les codes du cinéma étatsunien dominant et qui s'en joue. Et sous la satire, c'est une histoire de rébellion de la jeune génération contre l'ancienne... Une histoire bien contemporaine que montre aussi le jeune Serge Moati dans son court métrage Les cowboys sont noirs : « making of » du film d'Alassane, dans lequel les cowboys ont leurs vrais prénoms et conduisent des mobylettes, ne sont pas des héros au Far-West mais bien de jeunes nigériens de l'année 1966 !
Farah Clémentine Dramani-Issifou est commissaire d'exposition, programmatrice de films et chercheuse – elle mène à Harvard un programme de recherche intitulé « Restitute African Film Archive ». Elle programme aujourd'hui pour Tënk cette Escale : Les cowboys sont noirs – repris du titre de Moati. En six films, elle nous invite à observer comment dans l'histoire africaine et afro-diasporique les figures de la culture occidentale dominante ont cheminé pour être retravaillées, récupérées et/ou détournées. « À travers le genre western, qu’ils adaptent à leurs contextes et à leurs imaginaires, les cinéastes du continent ouvrent également un espace de souvenirs et d'utopies. Le western représente un espace de liberté, d'indépendance où d'autres histoires que celles qui avaient été racontées jusqu'alors peuvent exister. Le cowboy noir devient un symbole populaire de contre-culture et un (anti)héros. Il se bat avec courage, s'affranchit du racisme et de la sujétion sociale, politique et culturelle, et renverse ainsi l’image du cowboy qui, traditionnellement associée à la conquête coloniale et à la figure du héros blanc, a participé à la construction du mythe impérialiste américain. Le « western-foura » devient entre les mains des cinéastes afro-diasporiques, un genre subversif ».
(Notons ici en passant qu'on peut écrire « cowboys » ou « cow-boys ». On fait comme on veut.)
Un long voyage à travers les plaines et montagnes, pour aboutir sur la côté Ouest, c'est Western 4.33. Le voyage est en camion, de l'Afrique du Sud jusqu'à la Namibie. Le chauffeur routier est solitaire, chargé de tourments personnels. Et il se confronte à l'Histoire, la grande, la pire : le premier génocide commis au 20e siècle, dans le camp de concentration allemand de Shark Island, au large de Lüderitz. Un western expérimental contemporain, par le réalisateur sud-africain Aryan Kaganof.
Il y a du western dans la vraie vie contemporaine et les artistes d'aujourd'hui s'en saisissent. À Ouagadougou, Bobo Dioulasso ou Philadelphie il y a des communautés de gens qui chevauchent des chevaux à l'intérieur même des villes. Dans Blakata, Camille Varenne nous mène à la rencontre des « Guerriers » urbains, dans un Burkina Faso dont la tradition équestre est puissante, et qui a pour emblème l'étalon ! Dans Horse Day, de Mohamed Bourouissa, c'est à Philadelphie qu'on déambule au pas, au trot, ou bien qu'on galope dans les rues et les parcs ! Les « urban riders », Afro-américains d'un quartier populaire de la ville, entretiennent leurs chevaux et la tradition au sein d'une association. Ils deviennent alors les descendants des cowboys noirs qui « ont longtemps été invisibilisés dans l'histoire des États-Unis alors qu'ils étaient pourtant des milliers à fuir les états du Sud après l'abolition de l'esclavage et la guerre de Sécession, pour tenter leur chance à l'Ouest, en devenant cowboys dans les ranchs » rappelle Farah Clémentine Dramani-Issifou. Le film, lui, offre des séquences remarquables de parades équestres semi-sérieuses, et de poursuites urbaines entre cavaliers et voitures chromées !
Terminons avec notre deuxième fiction de la semaine !
Un film de Djibril Diop Mambéty, 1973, au style Nouvelle Vague : Touki-Bouki ! L'histoire est celle d'un homme et d'une femme, Mory et Anta, qui rêvent ensemble de voguer vers la France. Mais l'argent manque. Alors les moyens qu'ils trouvent pour s'en procurer ne sont pas toujours très orthodoxes... Leur quête ? Un grand voyage, une migration. Leurs forfaits ? Des jeux d’argent, du vol des escroqueries... Leur monture ? Une motocyclette ornée de cornes de zébu. « Considéré comme un classique du cinéma, Touki-Bouki a marqué un tournant stylistique pour le cinéma (africain) », écrit notre programmatrice. À voir, dans une très belle copie restaurée !
Bons films !
Les éditos passés





