Laura Poitras, l'Orient

Laura Poitras, l'Orient

L'édito de la semaine

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« Oh mon pays / Belle matinée ! / Réunissez tout le monde, pansez vos plaies. / J'ai envie de te voir sourire un jour. / Quand la tristesse te quittera-t-elle ? / Oh mon pays ».

Les États-Unis envahissent l'Irak au printemps 2003. Et en janvier 2005, comme par magie, les « premières élections démocratiques » du pays sont organisées ! Simple comme bonjour ? Regardons My Country, My Country, de Laura Poitras. On y verra le Docteur Riyadh au contact de ses patients, confronté à leurs divers maux et à travers eux à ceux du pays-même. On y verra qu'il se présente aux élections, alternant entre espoir et lassitude. On sentira la violence, le danger d'aller simplement voter, on sentira la présence étatsunienne permanente, qu'elle soit de l'armée ou des compagnies de sécurité privées. On vivra, grâce au talent qu'a Laura Poitras pour se plonger dans les événements les plus extrêmes, ce que peut être la mise sous domination d'une population qui cherche simplement à retrouver son pays, qu'elle a envie de revoir sourire un jour...

Nous vous proposons cette semaine un Fragment d'une œuvre consacré à Laura Poitras, une cinéaste qui a été connue du grand public notamment avec Citizenfour, Oscar 2015 du meilleur documentaire, déjà diffusé sur Tënk auparavant. Les trois films que nous avons choisis ont été beaucoup moins vus, et affirment eux aussi son point de vue critique sur la politique étatsunienne.

Avec The Oath, réalisé en 2010, elle poursuit son travail sur les États-Unis post-11 septembre. Le film suit Abou Jandal, chauffeur de taxi à Sanaa au Yémen, et ex-garde du corps d'Oussama ben Laden. Il raconte aussi la captivité et le procès de son beau-frère, Salim Hamdan, emprisonné à Guantanamo. Un procès qui perturba fortement le système judiciaire militaire des États-Unis, car il mit en avant « l'inefficacité » des méthodes d'interrogatoire (autrement dit, de torture) et le principe de détention arbitraire qui préside dans cette prison d'exception. C'est un film passionnant, qui s'approche comme jamais auparavant d'un acteur d'Al Qaida – et tourné avant la mort de ben Laden. Pour ce film et le précédent, Laura Poitras fut placée sur la liste de surveillance du département de la Sécurité intérieure des États-Unis...

Surveillance enfin, ultra-surveillance, paroxysme de la surveillance, surveillance absolue ! Project X fait partie des courts métrages que Laura Poitras continue de réaliser ou produire, notamment via le site d'investigation The Intercept. Inédit en France, ce court métrage aux accents de film d'espionnage réunit un duo de cinéastes (Poitras et Henrik Moltke), une matière première fournie par Edward Snowden lui-même et les voix de Rami Malek et Michelle Williams ! La matière première, ce sont des documents confidentiels de la NSA, qui décrivent dans un langage brut et administratif qui a sa part de mystère ce qui se cache derrière les façades d'un impressionnant building new-yorkais... Vous vous en doutez : on nous surveille.


Pour du contraste, c'est du contraste : le showbiz à Rome. Mais Vera, ce n'est certainement pas que ça. Vera, c'est Vera Gemma, fille d'un acteur italien célèbre, Guiliano Gemma. Vera ne perce pas dans le milieu, elle ne se fait pas un prénom, et le showbiz et ses relations superficielles la lassent. C'est alors qu'un jour, après un accident de la route, elle rencontre un jeune garçon de huit ans et son père. Elle tisse une relation intense avec eux, découvre alors la vraie vie, et peut-être même une nouvelle famille... Pourquoi est-ce que cela ressemble à un scénario de fiction ? Parce que c'en est un peu une. Mais c'est aussi un portrait bien réel, magnifiquement tissé par les cinéastes : Vera, jouée par Vera, est « stupéfiante dans [ses] allers-retours entre grande vulnérabilité et pouvoir de séduction, caricature d’elle-même et profonde humanité » écrit Aurélien Marsais. Une merveille signée Tizza Covi et Rainer Frimmel (auteurs de La Pivellina), qui valut à la comédienne le prix d’interprétation féminine de la section Orrizonti à Venise, et aux cinéastes le prix de la meilleure réalisation.


L'Orient, ça vient d'Oriri. C'est se lever, comme le soleil ou comme qui dormait. C'est aussi prendre sa source. C'est aussi commencer à exister. Retournons à l'Orient.

Allons en Iran, sur le bord du golfe Persique, avec Moshta. Magnifiques paysages, travail de la pêche, entretien des filets : nous rencontrons les pêcheurs de l'île de Qeshm, à l'extrême-Sud du pays. Tout cela est filmé avec grâce et avec tout ce qu'il y a autour : les grands chalutiers, les ports et les usines. « Moshta », ça veut dire « piège », et peut-être que le « progrès » prend ces hommes et leur travail dans ses filets...

Finissons avec un court métrage superbe, au titre tout aussi beau : Amour en Galilée. Faten nous raconte son histoire. Celle d'une femme qui après avoir été mariée sans l'avoir choisi a recouvré sa liberté. Et le goût de la joie et de la beauté. Le film accompagne son élan, dans un grain de pellicule qui fait vibrer les sublimes paysages de sa région. « Je suis une femme venant d'une terre qui a été meurtrie et assaillie. Et moi, comme ma terre, j'ai été blessée et réprimée pendant de longues années », dit-elle. Cette terre, c'est la Galilée, au Sud du Liban. Celle-là même qui aujourd'hui subit à nouveau de terribles meurtrissures de la part d'Israël son voisin. Il en faut beaucoup plus que ces seuls mots, ces mots sont bien naïfs devant les crimes perpétrés en ce moment en Palestine, ces mots : Amour en Galilée.

Bons films !