
Extrêmes
L'édito de la semaine
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« Min vieux Hinnin j'tai querre / J'pins'a ti comm'à m'mère / Quand chou qu'ej t'er verrai / Pus jommais après j'te quitterai / Pour mi t'es biau comm'rin / J't'ai querre min viux Hinnin ».
Nul doute qu'on l'aime, Hénin-Beaumont (Pas-de-Calais, 62). C'est une ville au pied des terrils. Une ville au passé minier puissant. Qui possède le « plus grand centre commercial au nord de Paris ». Et ce week-end, c'est la Ducasse (1 ticket acheté = 1 ticket offert). C'est le site de la mairie qui nous le dit. Cette mairie qui fut dirigée historiquement par la gauche (si on y inclut le PS). Et depuis 2014 c'est le Front National. Le parti d'extrême-droite y a conquis le monde ouvrier. Steeve Briois est passé au premier tour. Bassin miné, de Édouard Mills-Affif, raconte cette ascension pas à pas, dans les premiers temps du processus de normalisation d'un parti raciste. C'est la chronique d'une victoire. Et d'une grande défaite.
Autre mine : Decazeville (Aveyron, 12). Où le chevalement et la mine à ciel ouvert, dite « La Découverte », sont aujourd'hui sujets de parcours touristiques. Dans Cher Bassin, Mathieu Kiefer part à la rencontre des gens qui peuplent ce paysage que l'Histoire industrielle a défini. Le réalisateur nous emmène chez Léa la tatoueuse, chez Vincent le coiffeur. On change de coupe, on marque sa peau. Et on parle et on écoute des récits intimes marqués par le Bassin minier et ce qu'il est devenu. Et c'est tout en délicatesse, nous dit notre programmatrice Julia Pinget : « Derrière une apparente simplicité, Cher Bassin réussit à porter une parole populaire avec puissance et douceur. Il est une fable politique racontée depuis les marges abandonnées (mais non résignées) de la modernité ».
Calais (Pas-de-Calais, 62). C'est la fin de l'été. L'orage menace. Peut-être bien que c'est les vacances parce que les enfants et les adolescents prennent du temps, en bas des tours, ils vaquent à des choses, sont assis, jouent et parlent. Dans la tête un orage est un film en suspens. À la fois en plein dans la réalité sociale de cette cité et complètement ailleurs. À la fois dans le béton et ouvert sur le ciel et les herbes et les étangs. Et puis ce sont des visages magnifiquement filmés, alors même que, oui, l'orage menace. Le film a reçu le Prix Tënk à Côté Court (Pantin) l'an dernier (dont l'édition 2025 vient d'ouvrir).
On saute de la Mer du Nord à la Méditerranée. Une toute autre côte, dans Demain à la plage. Et un tout autre âge : le troisième. Moyenne d'âge des protagonistes, disons, 80 ans. Les vacances d'été, ils n'en ont rien à faire, car leur temps est libre. Alors toute l'année ils se retrouvent, se baignent et parlent ensemble, entre potes de serviettes de plage. Ils bravent « vents, marées et déficiences de leurs corps » pour être ensemble et briser la solitude de la vieillesse. Jürgen Ellinghaus propose : « On ose remplacer le mot "mar" dans le titre original du film (Mañana al mar) par "mort" ». Oui, ici, c'est aussi un temps suspendu, et plutôt léger, un drôle de temps, au delà de 80 ans.
Nous vous emmenons enfin dans deux histoires dures. Autant prévenir.
Cell 5 est une reconstitution : le 7 janvier 2005, un demandeur d’asile, entravé des mains et des pieds, meurt dans un incendie dans la cellule numéro 5 d’un commissariat de police à Dessau, en Allemagne. Mario Pfeifer collecte les éléments de l'affaire – documents juridiques, témoignages d’archives audiovisuelles – et nous la met crûment devant les yeux. Parce que, précisément, elle fut dissimulée longtemps, pour tenter de dissimuler le racisme de la police et celui de la société.
Et puis Caniba. En écho avec le cycle qui leur est consacré au Jeu de Paume à Paris, voici un film du duo Verena Paravel et Lucien Castaing-Taylor (réalisateurs de Leviathan et De Humani Corporis Fabrica), qui à travers leur « Sensory Ethnography Lab » à Harvard prônent un cinéma ethnographique passant par le sensible. Caniba est une rencontre dangereuse. De tout, tout près, ils filment un homme : Issei Sagawa. Un vieux monsieur japonais affaibli, qui vit au moment du tournage avec son frère. De tout, tout près on recueille sa parole. Le vieux monsieur, en 1981, alors jeune homme à Paris, mangea une étudiante néerlandaise. C'est de cela que le film parle, et d'autres choses dérangeantes. De près, de beaucoup trop près.
Bons films !
Les éditos passés





