
À l'écoute du monde
L'édito de la semaine
Tous les vendredis, nos programmations sont accompagnées d'un édito qui vous présente les films de la semaine. Vous pouvez le recevoir par mél en vous inscrivant à la newsletter, mais aussi retrouver toutes les archives ici !
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Il faudrait avoir de très grandes oreilles pour entendre tomber le pollen du peuplier (celui qui fait comme une neige blanche, comme une mousse blanche, vous voyez ?). Il faudrait en avoir de très sensibles pour entendre se déplacer les montagnes, pousser les champignons, naître une mésange. Et ce qui est bien avec le cinéma, c'est qu'il a de très grandes oreilles et aussi des yeux précis.
Notre Escale de la semaine s'intitule À l'écoute du monde. Voilà six films attentifs à la nature, à ce milieu dont l'humain fait partie et qu'il a depuis longtemps surplombé, exploité, dominé. Six films qui privilégient la découverte, l’étonnement, l’émerveillement, la considération pour ce qui nous entoure. « En s’immergeant dans des lieux et des milieux spécifiquement choisis, et mettant en œuvre une finesse de perception, tant visuelle que sonore, [ces films] nous invitent à repenser et à refonder nos relations sensibles au monde vivant » écrivent Vincent Deville et Dominique Rousselet, nos invités pour cette programmation, qui poursuivent : « Les six films de cette Escale sont des modèles d’observation et d’attention, qui accordent une place toute particulière au son ». Une Escale inspirée par le livre que Vincent Deville a codirigé avec Rodolphe Olcèse, L’Art et les formes de la nature, et en écho au Mois du film documentaire nîmois 2024, « Les Formes de la nature ».
Il y aura des animaux, des cailloux, des horizons, des forêts, des fourrés, de la glace, des brebis et des chiens.
Cailloux : ceux qui roulent dans le courant de Méandres ou la rivière inventée. Ou comment une bande d'amis décide de se construire un radeau pour explorer le cours d'une rivière et s'intéresser à sa « restauration », c'est-à-dire le processus qui consiste à lui redonner sa forme d'origine, après que son cours a été modifié par les humains dans un but utilitaire. C'est un film qui mêle l'approche scientifique (la co-réalisatrice avec Émilien De Bortoli, Marie Lusson, est elle-même doctorante à l'Inrae) avec une expérience sensible : plonger dedans, éprouver les courants pour mieux connaître la vie même de ce milieu : un véritable river-trip !
Animaux : d'abord des brebis, dans Gorria. Un court métrage aux accents ethnographiques (et en très belle pellicule argentique) qui filme les gestes des humains plus que les humains eux-mêmes, dont on ne voit que peu de visages – pourquoi les mettre au centre ? Ce sont surtout des mains et des bruits. Des mains qui tondent, qui prennent soin, mais aussi des mains qui tuent.
Ce sont ensuite des insectes qui, on le note, font partie du « plancton aérien » : les Éphémères. Un court métrage qui montre ces créatures après leur éclosion, lorsque, après avoir vécu leur vie de larve quelques années, elles volent dans la nuit, dans la lumière d'un spot, et grouillent dans l'air... pour quelques heures seulement. Une vie courte, immensément courte qui nous intrigue : pourquoi ? se demande-t-on.
Dans les bois : bien plus que des animaux, toute une vie, celle de la forêt, avec blaireaux, tétras, musaraignes, mousse sur les troncs, humidité dans l'air, et des bruits qui viennent de partout et font vibrer le tout. « Dans mon film, je ne me contente pas de dire que la forêt n'est pas une réserve lucrative de bois, mon but est de faire comprendre qu'elle a une âme », dit le réalisateur, qui est aussi biologiste, et qui réalise là un sublime film animalier, et bien plus que ça.
Rochers, enfin. Horizons, falaises et ravins. On peut aujourd'hui difficilement regarder un paysage avec l'esprit tranquille. Et déjà en 1982, la réalisatrice Babette Mangolte (dont on peut par ailleurs retrouver trois autre films ici) arpentait l'Ouest des États-Unis avec dans l'œil cette inquiétude : tout cela, les humains sont en train de l'altérer. C'est dans The Sky on Location, et ce sont des couleurs fascinantes, celles de la roche et des sédiments qui construisent le paysage – « un paysage en cours, en train de se produire. […] Rien n’est vraiment définitif, tout peut encore s’effondrer » dit la cinéaste.
Le massif du Mont-Blanc s'effondre, lui comme les autres. On entend distinctement comment ça s'écroule, dans Pacheû (« c’est un mot de patois des Contamines (Haute-Savoie), précise la réalisatrice Camille Llobet : il se prononce "pa" (comme papa) "ch" (comme chat) et "eu" (comme bleu) »). Des mots, dans ce film, il y en a beaucoup. Ce sont des gens de la montagne qui nous décrivent comment ils arpentent leurs paysages qui ont aujourd'hui ceci de très particulier : ils se délitent. Ils tombent. Ils dégèlent et se décrochent. Ils changent de visages. On écoute leurs mots. On met les pieds dans le glacier. On entend les roches tomber. On entend la glace fondre, voilà ce que peut faire le cinéma, avec ses grandes oreilles.
Bons films !
Les éditos passés





