Parcours découverte

En équilibre

En équilibre

En équilibre

Pascal Auffray, Antarès Bassis, 2017

Un documentaire d’amour ! 

 

Il peut être amusant d’imaginer comment se passa la fabrication de En équilibre. Supposons, quitte à nous tromper : deux réalisateurs ont assisté à une représentation du Cirque Aïtal, qui figure par l’acrobatie un bon nombre de variations d’une relation entre deux personnes, ici un homme et une femme. Ils ont appris que le couple de la scène était aussi un couple dans la vie. Là, les cinéastes se sont dit : quelle merveilleuse situation ! Il y a certainement matière à film ! D’un côté nous pourrions capter la vie quotidienne du couple d’artistes, leurs accords et désaccords, la vie trépidante des répétitions et des tournées, leur relation, et de l’autre nous aurons une magnifique matière visuelle – les spectacles – comme une extension poétique de ces scènes de cinéma direct ! Allons les rencontrer !

 

Nous avons peut-être tout faux. Peut-être tout cela s’est-il passé totalement à l’inverse, la rencontre des deux personnages ayant précédé l’envie de film, ou que savons-nous encore… mais ce qui est sûr, c’est qu’un jour ils furent embarqués dans un tournage, avec leur caméra et leur enregistreur sonore, à la suite d’un couple de cirque. Et qu’il y avait là pour eux de quoi documenter une vie d’artistes confrontée à une vie de couple – et une histoire d’amour.

 

L’intimité d’une histoire d’amour, matière première de beaucoup de films de fiction, n’est pas chose aisée à filmer en documentaire. La “banalité” d’une relation de couple, c’est-à-dire avec ses banales joies et ses banales épreuves, encore moins. La force simple de En équilibre tient à son évidente métaphore, parfaitement cinématographique : le couple d’acrobates se tient, se rattrape, tombe, se soutient.

 

Mais pour que les séquences de cirque ne soient pas uniquement des métaphores, pour qu’elles soient fortes et chargées de sens, il aura fallu filmer les deux personnages avec une grande proximité. C’est ce que sont manifestement parvenus à faire les réalisateurs, sans qu’on sache véritablement comment : on peut supposer qu’il aura fallu du temps pour créer une confiance. Qu’il aura fallu être là pendant les répétitions, pendant les discussions, qu’il aura peut-être fallu aider à planter deux ou trois pieux de chapiteau, et suivre la tournée. Le cinéma direct, lorsqu’il tient à filmer l’intimité, a besoin de temps et d’attention et de relations.

 

Et bien sûr il y a le bébé. Le tournage d’un film documentaire est parsemé d’événements imprévus. Et le travail du documentariste est de s’y adapter. Et, éventuellement, de parvenir à en faire des belles choses. On peut supposer que, comme tous les membres de la troupe, les cinéastes ont dû dans un premier temps être déstabilisés par la nouvelle de la grossesse de Kati, l’une des deux protagonistes. Ce n’était pas le projet ! Mais on peut aussi supposer qu’ils y ont vu le formidable événement dramaturgique que cela leur procurait. Comme dans une fiction, le scénario comportait là son nœud, celui qui remet tout en question et qui anime les passions et les contradictions des personnages, celui qui bouleverse tout ! Comme dans une fiction on retrouve alors quelques motifs évidents, presque trop : une possible jalousie, en particulier. Mais contrairement à beaucoup de fictions, le sensationnel ne prend jamais le pas. Et c’est bien pour cela que le film nous touche : on s’identifie, on s’y reconnaît, dans les épreuves, dans les petites douleurs, dans les complications et dans la simplicité – la banalité ?

En équilibre est étonnant de simplicité, dans la manière dont il est fabriqué. C’est du cinéma direct, capté sur le vif (exceptée la séquence d’ouverture, certainement mise en scène pour le film). Ce sont des captations de spectacles. Quelques conversations. C’est tout simple, apparemment. Et c’est certainement là ce qui fait sa puissance et qui parvient à nous émouvoir, beaucoup, en nous faisant partager la force de belles étreintes (et de quelques saltos arrière…).