Le plaisir de manger et ses sociologies

À l’occasion de leur 50e Food&Film – un événement qui mêle films et nourriture –, Les Froufrous de Lilith, duo d'artistes composé de Bulle Meignan et Camille Zéhenne, proposent une sélection de sept films explorant l’acte de manger sous ses multiples dimensions : sociologique, physiologique, politique, comique, plastique et métaphorique. Sans oublier le plaisir.

Au-delà du besoin de se nourrir, nous sommes toutes et tous, chaque jour, confronté·es à la nourriture et sa dimension magique, sociologique, extatique, rêvée, contraignante, politique, transformée, que l’on y ait accès en abondance ou pas du tout, elle peuple nos vies et nos imaginaires.

Miam, Miam, Miam ! propose de s’intéresser très littéralement à l’acte de manger, à l’ingestion : une vision plurielle « de la nourriture à l’estomac » – pour paraphraser l’ouvrage de Julien Gracq – qui définit l'estomac comme « fond passionnel et personnel des goûts et des affinités ». Les films témoignent chacun à leur manière des enjeux de l’incorporation et de leurs débordements dans le champ social.

Dans Yum, Yum, Yum! de Les Blank et Maureen Gosling (qui a inspiré le titre de la programmation) c’est la joie de manger qui fonde le film, une ode au plaisir et à la culture créole et cajun de Louisiane. Tentative d’inventaire de Pauline Horovitz tisse un lien profond entre ce que nous sommes et ce que nous ingérons au sens propre comme autant de souvenirs d’aliments qui jalonnent notre vie. Dans Eat de Vivian Ostrovsky et dans Les Gestes du repas de Luc de Heusch, manger est vu comme un fait social, collectif, un rituel ethnographique dont les ressorts comiques sont créés respectivement par des approches burlesque ou expérimentale.

Mais manger est aussi un acte politique. Parce « qu’il faut manger pour vivre » on égorge à la chaîne dans Deux steaks… bien tendres s’il vous plaît ! tout en célébrant les étals du boucher dans les marchés de cette France viandarde des années 80. Dans cette lignée critique Jean-Gabriel Périot nous empêchera à jamais de consommer des tomates hors-saison à travers son pamphlet #67. « L’amour passe par l’estomac » nous dit le collectif Neozoon avec Love Goes Through the Stomach. En explorant les tendances Youtube entre l’ASMR, le mukbang (phénomène Youtube qui consiste à se filmer seul manger des quantités astronomiques de nourriture) et les courses commentées, il montre que l’alimentation reste au cœur de nos vies mais qu’elle semble en crise de commensalité et d’amour. Miam, Miam, Miam ! vise à remettre du baume au ventre et des papilles dans le cerveau.

Ces sept formes courtes qui composent un collage de genres et d’approches artistiques, montrent que manger nous constitue, car c’est à la fois un acte intime, politique, collectif et individuel fait de plaisir et de contraintes. Cette manière éclectique de programmer fait écho au Food&Film, un programme d’art vidéo thématique que nous menons depuis 2016 et dans lequel nous questionnons des thématiques universelles auxquelles on ne réfléchit jamais assez tant elles sont inhérentes à nos existences : l’argent, le metavers, la police, la jeunesse, la fête, la sexualité, la parole, le sacré… Il se décline en une séance-collage de formes courtes – du film expérimental à la publicité en passant par l'extrait de long métrage, le clip ou les vidéos Youtube, les films d’artistes – et s’accompagne d’une création culinaire servie pendant la projection.

Bulle Meignan et Camille Zéhenne
Les Froufrous de Lilith

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