Résumé
Dans cet essai adapté de son ouvrage “Nuit et Brouillard, un film dans l’histoire”, l’historienne Sylvie Lindeperg replace le film d’Alain Resnais (daté de 1956) dans son contexte historique et politique : quel regard, dix ans après la fin de la Seconde Guerre mondiale, les associations d’anciens déportés et résistants, les pouvoirs publics et les médias portaient-ils sur les camps nazis et la déportation ? Quelles lectures et quels usages pouvaient être faits des images tournées lors de l’ouverture des camps ? Pourquoi la question de l’extermination des juifs est restée, pendant cette décennie, un angle mort ? Mettant en scène le travail de l’historienne, sa recherche des faits et son usage des documents, le film décortique les questionnements historiques et éthiques partagés par Alain Resnais et son équipe, qui font de “Nuit et Brouillard” un film capital de la modernité.
L'avis de Tënk
Le film que cosignent Comolli et Lindeperg propose une manière inédite de filmer la parole savante. “Face aux fantômes” est l’adaptation cinématographique d’un livre d’histoire ! La mise en scène est omniprésente, visible et revendiquée, et le décor de la recherche n’est plus la bibliothèque mais le studio de cinéma – ce qui induit un surprenant rapport d’équivalence entre l’enquête historique et documentaire. L’historienne et le réalisateur y consultent toutes sortes de documents, s’interrogent, reçoivent, travaillent. Cette enquête rejouée est un habile processus d’intellection : la déconstruction minutieuse du travail de Resnais, de Jean Cayrol ou de l’historienne Olga Wormser nous fait éprouver le contexte culturel et intellectuel de ces années 1950, où la distinction entre camps de concentration et d’extermination n’était pas accomplie et où régnait le récit national du déporté résistant au nazisme. Retraçant toutes les étapes de la vie du film (de la commande initiale jusqu’au travail sur les versions internationales), il témoigne s’il en était besoin de la haute exigence tant historique, politique que cinématographique d’Alain Resnais.
Arnaud Lambert
Réalisateur