Résumé
Attendu comme le “film documentaire des années 1970” (R. Grelier), “Le Fond de l’air est rouge” cherche à produire la synthèse lucide des efforts et des espoirs de la “nouvelle gauche”, celle qui tentait d’échapper à l’autorité du communisme soviétique et de l’internationale communiste. De la guerre du Vietnam à la mort du Che, de Lénine à Mao, de mai 68 au Printemps de Prague, du Watergate au coup d’Etat du Chili, Chris Marker tente de faire le bilan des années d’engagement, de cette “Troisième Guerre mondiale” dont le théâtre des opérations fût à l’échelle de la planète. D’une durée de 4 heures lors de sa sortie en 1977, ramenée plus tard à 3 heures, ce film en deux parties (“Les Mains fragiles” et “Les Mains coupées”), constitue un extraordinaire montage des contestations qui embrasèrent les capitales du monde entier durant cette décennie rouge.
L'avis de Tënk
Le projet de Marker, au moment d’entamer le "Fond de l’air", était d’interroger « notre refoulé en images », les chutes des pellicules, les « non-utilisés ». Avec ce film-somme, il épouse une tonalité historienne dont il ne se départira plus et qui vient magnifiquement parachever cette programmation. À distance de la mythologie 68, de ses héros auto-proclamés, il replace le mouvement dans un temps et un espace bien plus vastes que le seul périmètre parisien, traçant l’histoire des luttes et des mouvements d’émancipations, des espoirs et des échecs d’une génération politique, tout autour de la planète. Parvenant à dialectiser entre elles la multitude des voix et des nuances idéologiques, Marker compose un véritable monument de l’espoir progressiste et souligne en tant que fait historique majeur l’extraordinaire vitalité de la conviction de gauche au cours des années 1967-77. C’est tout le sens de ce titre inoubliable : Le Fond de l’air est rouge. En réunissant par le film ce que l’histoire n’a pas réussi à réunir, il forge fantasmatiquement, lyriquement parfois, quelque chose comme la « gauche unie ». Une union qui, comme Marker l’a rappelé, n’a existé vraiment que le temps de « l’illusion lyrique de 68 ».
Arnaud Lambert
Réalisateur